
Photo du film LA MAMAN ET LA PUTAIN de Jean EUSTACHE © films du losange / Photo Bernard Prim Collection Christophel
Cinquante ans après le Grand Prix décroché par Jean Eustache et à quelques semaines de réinvestir les cinémas en France, La Maman et la putain revient au Festival de Cannes dans une éclatante version restaurée. Françoise Lebrun, l'une des actrices du trio amoureux qui compose ce chef-d’œuvre autobiographique avec Jean-Pierre Léaud et Bernadette Lafont, revient sur sa conception. Interview.
À quelle étape de sa carrière se situait Jean Eustache lorsqu'il a conçu ce film ?
Il avait déjà décroché une forme de reconnaissance avec le moyen métrage Le Père Noël a les yeux bleus (1966). Après Le Cochon (1970), un documentaire qui a contribué à lui créer une réputation, il m'a appelée pour me demander si je serais d'accord pour jouer dans son nouveau film. J'ai accepté sans savoir de quoi il s'agissait, ni qui composerait le reste du casting.
Quel a été le point de départ du scénario ?
Ses acteurs ! Il l'a imaginé avec trois noms en tête : Jean-Pierre Léaud, Bernadette Lafont et moi. Il a un jour affirmé qu'il n'aurait pas mené ce projet si l'un de nous avait refusé. Je ne vois d'ailleurs pas qui d'autre que Jean-Pierre Léaud pouvait porter ce long métrage. Son choix n'était pas innocent.
Jean Eustache amenait beaucoup de son histoire personnelle dans ses films. Pourquoi ?
Il y avait chez lui quelque chose de l'ordre de la nécessité interne. La Maman et la putain a constitué un besoin impérieux à ce moment précis de sa vie. D'ailleurs, le tournage s'est inscrit dans cette notion de nécessité et d'intensité.
« Le film décrit une période où il régnait une énergie incroyable dans l'air du temps ».
C'est-à-dire ?
Les dialogues étaient ciselés et il nous invitait à en rendre compte fidèlement. J'ai cependant le souvenir d'une grande facilité de tournage. Je savais ce qu'il recherchait au cinéma et inconsciemment, je lui ai rendu tout ce qu'il m'avait appris. Si Jean m'a proposé ce rôle, c'est parce qu'il savait que je saurais l'interpréter comme il l'imaginait, en restant à distance de mon personnage.
Le film décrit une époque très singulière : le Paris de l'après Mai 68...
Il raconte une période où il régnait une énergie incroyable dans l'air du temps et Jean utilise pour cela une forme très inventive dont Jean-Luc Godard avait été l'initiateur. Ce qu'il y a eu de formidable avec la Nouvelle Vague, c'est qu'elle a créé dans son sillage un appétit très grand pour le cinéma, une sorte d'intensité de vie qui circulait et qui est arrivée à éclosion au moment où Jean a imaginé le film. Il en a clairement bénéficié.
Y-a-t-il eu un avant et un après pour la carrière de Jean Eustache ?
Le tournage des Petites amoureuses (1974), qui était un projet auquel il tenait beaucoup mais qui n'avait pas pu être tourné faute de montage financier, n'a ensuite pas eu le même retentissement. Le poids de La Maman et la putain, et le fait qu'on le réduise trop souvent à lui, a fait qu'une veine de son inspiration s'est peut-être épuisée.
Pourquoi sa carrière est-elle trop souvent réduite à ce long métrage ?
Parce qu'il a été comme une sorte de monstre. Toute une partie de son parcours a été masquée par La Maman et la putain. À chaque fois que je suis invitée pour le présenter, je conseille aux spectateurs d'aller voir Les Petites amoureuses (1974). Pour moi, ce sont les deux faces d'une même pièce.
Une présentation des Films du Losange. Restauration et numérisation en 4K par les Films du Losange avec le soutien du CNC et la participation de la Cinémathèque suisse. Restauration image Immagine Ritrovata /Eclair Classics, supervisée par Jacques Besse et Boris Eustache. Restauration son réalisée par Léon Rousseau- L.E. Diapason.